Inauguré à Marrakech en 2016, le Musée d’Art Contemporain Africain Al Maaden (MACAAL) a récemment rouvert ses portes après un an et demi de travaux de rénovation.
Cette réouverture marque un tournant significatif pour ce musée, qui se positionne comme le premier établissement privé dédié à l’art contemporain africain au Maroc. Le président du musée, Othman Lazraq, exprime avec enthousiasme que « c’est un nouveau chapitre pour le MACAAL ! » Cette déclaration résonne comme un écho à l’importance croissante de l’art africain sur la scène mondiale, et souligne l’engagement du musée à offrir une plateforme pour l’expression artistique du continent.
Depuis sa création, le MACAAL a accueilli une quinzaine d’expositions majeures, consolidant ainsi sa place dans le circuit de l’art contemporain. Othman Lazraq souligne que le défi n’était pas seulement de construire un musée, mais aussi de créer une équipe et un public. Cette vision holistique de la culture muséale est essentielle pour établir un dialogue entre les artistes, les œuvres et le public, et pour favoriser une appréciation plus profonde de l’art contemporain africain.

La collection permanente du MACAAL, qui s’est constituée au fil de plus de quarante ans grâce à la passion de Lazraq père, fondateur du groupe immobilier Alliances, et enrichie par son fils, compte aujourd’hui plus de 2 000 œuvres. Cette collection est diversifiée, englobant une large gamme de médiums, allant de la peinture orientaliste aux œuvres conceptuelles les plus récentes. La diversité des œuvres présentées témoigne de la richesse et de la complexité de l’art africain, qui ne peut être réduit à une seule narration ou un seul style.
Pour sa réouverture, le musée propose une nouvelle exposition permanente intitulée « Seven Contours, One Collection », conçue par le duo de Zamân Books and Curating, Morad Montazami et Madeleine de Colnet, en collaboration avec Meriem Berrada, la directrice artistique du musée depuis ses débuts. Ce parcours, qui présente 150 œuvres, est le fruit d’un travail minutieux de scénographie réalisé par le Béninois Franck Houndéglà. Ce dernier a su créer un espace d’exposition dynamique qui sera régulièrement renouvelé afin de répondre aux besoins de conservation tout en facilitant les emprunts ou les prêts d’œuvres.
Morad Montazami souligne que « une collection est toujours à compléter, à repenser ou à mettre en perspective ». Cette approche dynamique est essentielle dans le cadre d’un musée contemporain, où l’art évolue constamment et où les dialogues entre les œuvres et le public doivent être renouvelés. Pour enrichir cette expérience, une timeline intégrant des archives, des images et des revues relie les dates et événements marquants des arts africains, des indépendances à nos jours. Cette perspective historique est cruciale pour contextualiser les œuvres exposées et pour permettre aux visiteurs de comprendre l’évolution de l’art africain dans un cadre global.

Madeleine de Colnet ajoute que « dans l’entendement général, un musée, c’est de la conservation et l’écriture d’une histoire de l’art ». Il est donc impératif de s’intéresser à des figures historiques qui posent les repères d’une certaine modernité africaine. En présentant les œuvres de pionniers du modernisme marocain aux côtés d’artistes contemporains tels que Hassan Hajjaj, Abdoulaye Konaté, Chéri Samba, Serge Attukwei Clottey, Djamel Tatah et Billie Zangewa, le MACAAL illustre la richesse et la diversité de l’art sur le continent africain.
Les choix curatoriaux du duo Montazami et de Colnet reflètent une volonté manifeste de représenter un large éventail de pays et de cultures, tout en mettant en avant les artistes marocains. Cette approche inclusive est essentielle pour permettre une compréhension plus nuancée de l’art contemporain africain, qui ne peut être appréhendé sans prendre en compte ses multiples influences et ses racines diverses. De plus, le musée s’engage à étoffer sa collection d’œuvres vidéo, un médium qui prend de plus en plus d’importance dans le paysage artistique contemporain.
Le MACAAL : Un lieu de vie pour le public
En tant qu’espace d’exposition dynamique, il va au-delà de l’austérité souvent associée aux musées traditionnels pour devenir un véritable lieu de vie, un espace d’échange, de réflexion, et de dialogue. Les commissaires de l’exposition actuelle, en s’appuyant sur une riche diversité d’auteurs, de penseurs et d’anthropologues africains, ont su élaborer une programmation qui invite à repenser les rapports entretenus avec le passé, l’art, et les identités culturelles.

La structure de l’exposition se déploie autour de sept chapitres, chacun accompagné d’un entretien exclusif qui offre un éclairage sur les thématiques abordées. Au rez-de-chaussée, les quatre premières sections – « Décoloniser », « Transcrire », « Initier », et « Cohabiter » – témoignent d’une volonté de revisiter les récits historiques en proposant des représentations alternatives. Ces thématiques ne se contentent pas de questionner le passé ; elles interrogent également notre rapport au sacré et à la vie, un enjeu crucial à une époque où ces concepts sont souvent mis à mal par une vision utilitariste du monde.
La section « Décoloniser », portée par la voix d’Ariella Aïsha Azoulay, constitue un appel à la réévaluation de l’héritage colonial. Par ses réflexions, Azoulay propose une analyse critique qui remet en question les fondements mêmes de nos institutions culturelles. De la même manière, le critique d’art Franck-Hermann Ekra aborde le thème de la transcription des voix et des récits souvent oubliés. Il souligne la nécessité de rendre visibles les expériences et les histoires de ceux qui ont été historiquement marginalisés.
L’œuvre de l’architecte Salima Naji, « Dans les bras de la terre », ainsi que l’installation de la Tunisienne Aïcha Snoussi, s’intègrent dans cette dynamique. Leur présence dans cet espace institutionnel témoigne d’une volonté forte de non seulement accueillir des artistes émergents, mais également de renforcer les revendications autour de l’architecture vernaculaire et des pratiques artistiques ancrées dans le quotidien des habitants. Meriem Berrada, l’une des commissaires, souligne l’importance de Naji en déclarant que sa voix mérite d’être célébrée sur son propre territoire. En effet, le récent séisme vient renforcer ses intuitions, mettant en lumière la pertinence de son approche face à des enjeux contemporains.

À l’étage, trois nouvelles salles – « Confluer », « Promettre », et « Tisser » – s’attardent sur les flux migratoires, l’influence culturelle d’Afrique sur Marrakech, et la dialectique entre artiste et artisan. Nadia Yala Kisukidi, Rachid Mendjeli et Salima Naji orchestrent une symphonie de réflexions sur l’identité, la matière et le processus créatif. Ces verbes d’action, choisis avec soin, animent l’exposition et permettent de (re)placer l’Afrique dans une dynamique de responsabilité proactive. Cette approche contredit l’idée désuète d’une Afrique dans l’inertie, en la présentant comme un continent en mouvement, en dialogue avec le monde.
En parallèle, le MACAAL ouvre « The Artist Room », un espace dédié aux expositions temporaires, qui donne la parole à des artistes souvent marginalisés. Le solo show de l’artiste franco-marocaine Sara Ouhaddou illustre cette volonté d’offrir une plateforme nouvelle où s’expriment des voix oubliées et des courants artistiques disparus. Othman Lazraq, un autre acteur de ce projet, insiste sur la nécessité de cet espace pluridisciplinaire pour élargir les horizons de l’art contemporain en Afrique.
Une bibliothèque en ligne viendra également enrichir l’offre du MACAAL en mettant en valeur des vidéos d’art et des courts-métrages réalisés par des artistes africains depuis les années 1990. Cette initiative témoigne d’un souci de conservation et de mise en lumière des productions artistiques qui, trop souvent, échappent aux circuits traditionnels de diffusion culturelle.
Le centre de ressources, avec sa bibliothèque et son café proposant des mélanges de café uniques, est pensé comme un véritable lieu de rencontre, d’ateliers, et de réflexions communautaires. Ce projet s’inscrit dans une vision innovante du musée comme non seulement une simple entité de conservation, mais comme un espace vivant, capable d’accueillir le grand public et de stimuler les échanges entre les différentes communautés. En ce sens, le MACAAL ne se contente pas d’exposer l’art ; il en fait un catalyseur de vie, d’engagement et de dialogue.

En conclusion, la réouverture du MACAAL après sa rénovation incarne une vision audacieuse de l’avenir de l’art contemporain africain, en plaçant la collection permanente au cœur de son projet. En offrant une plateforme pour l’expression artistique diversifiée du continent et en intégrant une perspective historique enrichissante, le MACAAL se positionne comme un acteur clé dans la promotion et la valorisation de l’art contemporain africain. Le MACAAL représente donc un modèle contemporain d’institution muséale qui réconcilie art, culture et vie publique. Par son engagement à donner une voix aux artistes et à explorer des thématiques essentielles par le prisme de la décolonisation, du dialogue interculturel et de la responsabilité sociale, il aspire à devenir un véritable espace d’épanouissement culturel. En redéfinissant les contours de ce qu’un musée peut être, il se positionne comme un lieu de vie au service du public, où la réflexion et la création artistique s’entrelacent pour enrichir nos expériences et notre compréhension du monde.
Gérard Flamme