L’Allée des artisans de la Médina de Rabat est bien plus qu’un marché traditionnel et coloré. C’est aussi une institution dont l’empreinte historique est gravée au marteau sur l’édifice patrimonial immatériel de la Capitale du Royaume.
Un voyage dans le passé s’impose pour mieux appréhender les gageures de cette capitale. Depuis l’origine, l’art a été étroitement lié à l’histoire et est devenu le moteur économique de la médina de Rabat. De plus, au fil des siècles et des pouvoirs dynastiques, ce territoire a contribué à faire de la ville voisine de Buregrege un centre de rayonnement artistique et international. Car cette fourmilière humaine au cœur de l’Allée des artisans, existe depuis le XVe siècle. A l’instar de ce qui se passait ailleurs dont entre autre en Europe chaque corporation était régie par une hiérarchie comprenant l’apprenti, l’artisan, le maître-artisan et le chef de corporation.
Au fil des générations, ces artistes/artisans fruit d’un brassage culturel pluriséculaire ont émerveillés le monde entier quelles que soient leur nationalités. De fait, « depuis l’antiquité phénico-romaine, les artisans des deux côtés de la rive méditerranéenne se sont grandement inspirés les uns des autres, compte tenu de leurs divers brassages culturels et ethniques, les migrations et exodes aidant. L’Allée des artisans de la Médina est à l’image de ce melting-pot pluriséculaire et fièrement transmis de génération en génération. Lequel brassage ne peut que participer au rayonnement culturel de notre pays. D’ailleurs, au cœur des ateliers de cette même Allée, les azulejos (zellij) arabo-andalous côtoient dans la plus belle harmonie la calligraphie islamique et les motifs amazighs sculptés sur du bois formant un bon tandem avec les gravures que l’on trouve sur les œuvres des dinandiers« .
« L’Allée des artisans est bien plus qu’un endroit ou une adresse. Il s’agit d’une institution pluriséculaire où de nombreuses générations ont appris et enseigné l’art et la manière de l’artisanat marocain. Les exodes et les migrations de plusieurs nations et peuples, toutes phases historiques confondues, ont fait que les civilisations puissantes ont dicté leurs codes et majestueusement marqué notre quotidien de leur empreinte car c’est la loi du plus fort », explique Mohamed Es-Semmar, historien et archéologue.
« Mieux connue sous le nom de Rue des Consuls, l’Allée a toujours représenté la diversité des ateliers. De la céramique arabo-andalouse à la peinture et carrelage islamique, en passant par les sculptures sur bois et les marqueteries et pierres incrustées, les ouvriers talentueux s’affairent toujours à la fabrication de cuivre, vannerie, argenterie, etc. orfèvres etc ». Notre intervenant a également expliqué que la rue s’appelle ainsi parce qu’elle était la résidence des ambassadeurs et des consuls jusqu’en 1912. Une autre activité de la médina et de son Allée est le tapis. « Les tapis Rbati sont un autre moteur de ce territoire emblématique, de la médina de Rabat et de toute la région, suivis par la couture et la broderie », explique toujours l’historien.
Construite au XVIIe siècle au sud du Bouregreg, la médina de Rabat a joué un rôle important dans la préservation des trésors artistiques du Maroc au fil du temps. Dès le début du protectorat français, le premier général occupant, Hubert Lyautey, souhaite protéger les villes arabo-musulmanes et leurs éléments historiques et culturels. Ainsi, la mise en œuvre de cette politique a été immédiatement confiée au ministère des Antiquités, des Arts et des Monuments historiques, chargé de classer et de protéger les monuments historiques, et de superviser le développement de la Médina pour en préserver la beauté.
Une allée, des histoires
Mais les lois d’urbanisme adoptées par la France pendant la période du protectorat étaient très restrictives pour les entreprises marocaines qui ne répondaient pas aux exigences de la modernité. De jour comme de nuit, des commerçants, des marchands ambulants et autres sources d’agitation, l’Allée des artisans a toujours été un lieu de passage incontournable.
À partir de 1935, le gouvernement français revoit ces conditions, en raison de l’augmentation de la population résidente de la Médina. Jusqu’à la fin du protectorat en 1956, la France peine à trouver une solution aux problèmes démographiques, économiques, sociaux et urbains de la vieille métropole. Donc les autorités françaises veulent mettre fin à ce problème et permettre aux entreprises françaises de réussir. La médina n’est donc plus fonctionnelle, avec le nombre croissant de magasins tenus par des résidents français, et ces ateliers sont obligés de tirer leurs rideaux tôt le soir et de regarder leurs chiffres d’affaires fondre.
Lorsque le Maroc a obtenu son indépendance, l’allée a repris peu à peu ses activités grâce à de nombreux dons et au soutien de la communauté. L’Allée des artisans est un patrimoine à part entière. D’ailleurs, dès l’indépendance du Royaume, plusieurs gouvernements et plusieurs entités de la société civile se sont efforcés à rénover ces ateliers et à transformer certains vieux hôtels (laissés à l’abandon pendant plusieurs dizaines d’années car leurs anciens locataires n’ont pas pensé les rénover) en nouvelles constructions dédiées à l’artisanat.
Puis, en 2014, plusieurs agences gouvernementales, dont le ministère des Affaires islamiques, de la Culture, du Tourisme et de l’Économie, se sont concentrées sur la mise en œuvre d’accords bilatéraux sur la rénovation urbaine de Rabat et de ce patrimoine, pétris de mémoire.
Gérard Flamme