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L’art contemporain africain.. « Nous sommes de retour »

L’art contemporain africain.. « Nous sommes de retour »

Que ce soit au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Maroc… En Belgique, aux USA ou en France… Ce n’est plus un art émergeant mais totalement un art contemporain africain qui se montre, se vit, se vend.

Aujourd’hui les artistes de l’Afrique sont présents aux quatre coins de la planète et présentent des œuvres que les collectionneurs s’arrachent au même titre que ceux qui sont des valeurs sures.

Homme-clé du monde de la culture sur le continent africain, Yacouba Konaté a ressuscité le Masa d’Abidjan. Entretien. Ce professeur, philosophe et historien d’art est un fin connaisseur des enjeux autour des cultures du continent.

Luxe-infiny-maroc : Que met-on sous l’expression « art contemporain africain » ?

Yacouba Konaté : « Dans l’usage, le qualificatif « africain » désigne plus particulièrement l’Afrique subsaharienne, même si je crois en la nécessité de traiter le Sahara non plus comme une frontière, mais comme un point de contact entre l’Afrique au nord et l’Afrique au sud du Sahara. Un certain nombre d’artistes récusent le terme d’artiste africain. On n’en est plus au « I am black, and I am proud » des années 1950 à 1970. Cette réserve interrogative fait partie de la problématique de l’art dit contemporain africain qui souvent interroge, dans l’expression plastique, ses propres présupposés identitaires. Je situe l’avènement de l’art contemporain africain au début des années 1990, avec ses nouvelles formes d’écriture, de matériaux qui débordent les disciplines plastiques classiques pour intégrer la photo, la vidéo, les installations. On y retrouve aussi des artistes néo-primitivistes, dont Kane Kwei du Ghana, Seyni Camara du Sénégal, Tokoudagba du Bénin et aussi Frédéric Bruly Bouabré qui, avant cette période, n’avaient pas voix au chapitre. Ce n’est pas anodin de noter que l’avènement de l’art contemporain africain est contemporain dans l’espace et dans le temps du renouveau démocratique, du pluralisme politique et de la fin formelle du parti unique. »

Luxe-infiny-maroc: A Abidjan, comment décririez-vous l’évolution récente du paysage ?

Si l’on prend la décennie précédente, cela nous ramène à 2003, quand la Côte d’Ivoire s’enfonçait dans une crise politico-militaire. Une institution financière comme la Banque africaine de développement qui comptait un millier de travailleurs, dont des amateurs d’art, se délocalisait à Tunis. Des entreprises fermaient, des galeries également, mais au nombre des entreprises qui sont restées parce qu’elles croyaient fondamentalement que la crise n’était qu’une parenthèse, une banque comme la BICICI-Paribas a choisi de développer un programme d’expositions qui continue aujourd’hui. C’est dans ce contexte qu’est née la Rotonde des arts contemporains en décembre 2008, suivie en 2009 de la Fondation Donwahi. La galerie Cécile Fakhoury viendra plus tard en 2012, dans un contexte de relance générale du marché.

Luxe-infiny-maroc: Comment se constitue le marché de l’art sur le continent africain ?

En Afrique, l’offre artistique est immense et riche. Contrairement à une idée reçue, l’Afrique n’est pas un continent pauvre, même si des poches de misère et de désolation existent. En Afrique, il faut intéresser la classe moyenne, la petite et la grande bourgeoisie, aux expositions d’arts plastiques, puis aux œuvres elles-mêmes. De nombreux événements travaillent dans ce sens. Ce sont entre autres la Biennale de Dakar et les Rencontres photographiques de Bamako, la Foire de Johannesburg et les lieux tels que Doual’art à Yaoundé, le CCA à Lagos, Raw Material à Dakar, Art’house à Accra, Bandjoun Station à Bandjoun au Cameroun ou même des musées d’art contemporain comme il y en a à Harare, Cape Town. La grande nouvelle, c’est l’ouverture du Musée d’art contemporain de la Fondation Zinsou à Ouidah au Bénin, également 1.54 qui est venu il y a quelques semaines à Marrakech. Mais n’oublions pas non plus l’ensemble de galeries privées, des centres d’art qui œuvrent chaque jour à faire connaitre tous ces artistes.

Luxe-infiny-maroc: Quel rôle jouent déjà les foires, à l’étranger, mais aussi sur le continent ?

À l’étranger, les percées de l’art africain contemporain à Londres, l’automne dernier, à Paris, à Bruxelles, à Dubaï contribuent à élargir l’accès au marché des artistes du continent. Leurs présences sur cette scène internationale orientent les choix et les goûts des collectionneurs qui finalement regardent différemment des artistes qu’ils avaient tendance à négliger. Sur le continent, à Lagos par exemple, des ventes aux enchères sont organisées régulièrement, et de riches collectionneurs sponsorisent les événements artistiques et commanditent des expositions et des catalogues. On peut faire le pari que dans les cinq prochaines années, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, naîtra au moins une autre foire.

Luxe-infiny-maroc: Quels sont les artistes qui aujourd’hui ont accédé à une visibilité internationale ?

El Anatsui est certainement le plus coté de tous, et c’est important de noter qu’il vit au Nigeria tout en étant d’origine ghanéenne. Dans le même temps, sa visibilité est maximale puisqu’il expose partout dans le monde. Il y a aussi Yinka Shonibare à Londres, l’Ivoirien Ouattara Watts à New York, le Camerounais Barthélémy Toguo en France, Hazoumé au BéninAbdoulaye Konaté au Mali, Soly Cissé au Sénégal, Kofi Setordji au Ghana, Jems Koko Bi entre la Côte d’Ivoire et l’Allemagne, mais aussi Mahi Binebine (marocain) qui expose dans beaucoup de pays, etc. En exemple la formidable exposition (Niger) qui s’est déroulée il y a quelques semaines à Rabat. Ils sont présents à la fois en Afrique et dans le monde et bénéficient d’une reconnaissance méritée, parce qu’ils savent se renouveler tout en restant passionnants. Impossible de les citer tous. Au milieu de centaines voire des milliers d’autres. Et puis, il y a de très bons artistes qui mériteraient d’être mieux connus : Bill Kouélany au Congo, Tapfuma Gutsa au Zimbabwe, Viyé Diba au Sénégal, Siriki Ki au Burkina Faso, Joël Mpadoo, les photographes Ananias Léki Dago, Joana Choumali et Franck Fanny en Côte d’Ivoire, Freddy Tsimba et Vitshois en RDC… Nous ne sommes pas assez nombreux pour l’immensité du travail. Des dizaines d’artistes de premier choix aimeraient avoir une monographie publiée.

Gérard Flamme

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