La consommation de fromage au Maroc, estimée à 1,2 kg par habitant et par an, contraste fortement avec les chiffres enregistrés dans les pays européens, où la consommation peut dépasser les 20 kg par personne. Ce faible niveau de consommation révèle un marché en développement timide, influencé par une combinaison de facteurs culturels, économiques et structurels.
D’un point de vue culturel, la cuisine marocaine traditionnelle accorde une place relativement modeste aux produits laitiers, et plus particulièrement au fromage. Si le lait fermenté (lben) et le beurre clarifié (smen) sont bien ancrés dans les habitudes alimentaires, le fromage, dans sa diversité, reste perçu comme un aliment plus occidental. Cette perception tend toutefois à évoluer, notamment chez les jeunes générations influencées par la mondialisation et l’ouverture aux cultures étrangères.

Le marché du fromage au Maroc présente un profil distinctif, caractérisé par une consommation relativement faible comparée à d’autres pays. Avec une moyenne de 1,2 kg consommé par habitant et par an, le Maroc se situe loin derrière des nations à forte consommation fromagère comme la France, l’Islande, l’Allemagne et l’Italie, où cette moyenne atteint des sommets de 26 kg/an. Diverses études révèlent également que les Tunisiens par exemple consomment trois fois plus de fromage que les Marocains, et les Égyptiens près de dix fois plus, soulignant une différence significative dans les habitudes alimentaires de la région. Il est important de noter que ces chiffres sont influencés par les types de fromages consommés, qui varient considérablement d’un pays à l’autre.
Au Maroc, le marché est dominé par les fromages fondus en portions (principalement par une vache très connue), aussi par les produits type « fromage de Hollande » représentant près de 70% de la consommation totale. Cette prédominance contraste fortement avec la France et l’Allemagne, où les fromages frais et les fromages à pâte molle ou pressée sont privilégiés. Ceci met en lumière une autre tendance importante : une large majorité de Marocains consomme du fromage industriel. L’analyse par milieu d’habitation révèle également des disparités significatives, avec 75% de la population rurale consommant du fromage industriel contre 86% en zone urbaine.

Géographiquement, la consommation de fromage est plus concentrée dans les grandes villes comme Casablanca et Rabat, tandis qu’elle est plus modeste dans la région du Nord. Les consommateurs les plus aisés expriment une insatisfaction quant aux fromages proposés, due à des attentes plus élevées et à une familiarité accrue avec une plus grande variété de fromages, acquise lors de voyages à l’étranger.
La prédominance actuel du fromage fondu industriel suggère une possible opportunité pour diversifier l’offre et introduire des fromages plus traditionnels ou artisanaux. L’insatisfaction exprimée par les consommateurs les plus aisés souligne également la nécessité de cibler ce segment avec des produits plus sophistiqués et de qualité supérieure. Comprendre les nuances de la consommation marocaine, des habitudes régionales aux attentes des consommateurs, est crucial pour les acteurs du marché désireux de s’implanter et de se développer dans ce pays. L’avenir du fromage au Maroc réside dans sa capacité à répondre aux besoins et aux aspirations d’une population de plus en plus diversifiée et exigeante.
Mais l’aspect économique joue également un rôle crucial. Le pouvoir d’achat d’une part importante de la population marocaine reste limité, et le fromage, en particulier les variétés importées, peut être considéré comme un produit de luxe. La production locale, bien que grandissante, se concentre encore sur des fromages traditionnels comme le jben, souvent vendu à des prix plus abordables. L’accessibilité financière demeure donc un frein important à la démocratisation de la consommation fromagère.

Il est tout de même étonnant, nous semble-t-il que la présence française n’est pas permis l’essor d’une industrie fromagère nationale. Historiquement, la production de fromage au Maroc était principalement artisanale et rurale. Les éleveurs de chèvres et de brebis produisaient des fromages frais, souvent à base de lait cru, destinés à une consommation locale. Ces fromages, généralement non affinés et à pâte molle, étaient souvent aromatisés aux herbes ou aux épices locales. On peut citer le « Jben », fromage frais à base de lait de chèvre, parfois aromatisé à la menthe, et consommé principalement en dessert ou au petit-déjeuner. D’autres fromages traditionnels, moins connus mais tout aussi importants, variaient selon les régions et les techniques de fabrication locales.
Cependant, l’urbanisation croissante et l’ouverture du marché marocain ont introduit une gamme plus large de fromages importés, principalement en provenance d’Europe. Le fromage fondu, souvent perçu comme économique et pratique, est largement répandu dans les foyers marocains. Par ailleurs, les fromages à pâte pressée cuite (Emmental, Gruyère) et les fromages à pâte molle (Camembert, Brie) gagnent en popularité, notamment auprès des classes moyennes et supérieures, qui apprécient leur goût et leur polyvalence culinaire.

La production locale de fromage a également évolué pour répondre à cette demande croissante et diversifiée. Certaines entreprises agroalimentaires marocaines produisent désormais des fromages industriels, s’inspirant des recettes européennes mais en adaptant leurs saveurs aux goûts locaux. Ces fromages, souvent commercialisés sous des marques locales, représentent une part importante du marché.
La consommation de fromage au Maroc est un reflet de la modernité et de l’évolution des habitudes alimentaires. Si les fromages traditionnels conservent une place importante, notamment dans les zones rurales, les fromages importés et les produits industriels locaux contribuent à diversifier l’offre et à satisfaire une demande croissante. Ainsi, répondre à la question initiale nécessite de considérer le contexte géographique, socio-économique et culturel pour appréhender la complexité et la richesse de la consommation de fromage au Maroc.
Pour terminer sur cet aspect, la consommation de fromage au Maroc, bien que modeste, présente un potentiel de croissance significatif. La démocratisation de l’accès au fromage, la promotion de la production locale et des campagnes de communication efficaces pourraient contribuer à stimuler ce marché et à modifier les habitudes alimentaires des Marocains. L’avenir de la consommation fromagère au Maroc dépendra de la capacité des acteurs du secteur à surmonter ces défis et à s’adapter aux spécificités du marché local.

Mais revenons sur les réalités ‘internationales
Le fromage, plus qu’un simple aliment, est un symbole culturel, un marqueur identitaire, et un pilier de la gastronomie. Lorsqu’il s’agit de ce fleuron culinaire, la France se dresse instinctivement dans l’esprit collectif comme la nation fromagère par excellence. Avec un inventaire vertigineux d’environ 1200 spécialités, allant du Comté affiné dans les caves du Jura au Camembert de Normandie, en passant par le Roquefort persillé et le Saint-Nectaire rustique, la France se targue d’une richesse et d’une diversité inégalées. Cette profusion, alliée à une exigence de qualité intransigeante, a naturellement forgé la réputation de la France comme référence mondiale en la matière. L’attrait est d’autant plus fort que nombre de ces fromages sont élaborés à partir de lait cru, une pratique de plus en plus rare ailleurs, et qui confère aux produits français une complexité aromatique et une typicité indéniables. La dégustation d’un fromage français, c’est un voyage sensoriel, une exploration des terroirs, un hommage aux traditions ancestrales. Pourtant, derrière cette image idyllique et cette position prééminente sur la scène internationale, se cache un paradoxe : malgré une production annuelle considérable de 1,8 million de tonnes, la France n’est pas, en réalité, le plus grand producteur de fromage au monde.
Le paradoxe fromager français : Une renommée mondiale

L’Europe, berceau de la civilisation fromagère, révèle une hiérarchie complexe où la domination française est contestée, non pas en termes de qualité, mais en termes de volume. L’Allemagne, souvent éclipsée par le prestige gastronomique français, s’impose comme un géant discret mais puissant de l’industrie fromagère. Avec une production avoisinant les 2,5 millions de tonnes par an, le pays surclasse la France, s’affirmant comme le leader européen en termes de quantité produite. Bien que ses fromages, tels que l’Allgäuer Bergkäse ou l’Altenburger Ziegenkäse, soient moins connus à l’international que les emblèmes français, la force de l’Allemagne réside dans son approche industrielle efficiente. Ses vastes exploitations agricoles, conjuguées à des unités de production modernes et optimisées, lui permettent d’atteindre des niveaux de production impressionnants. Cette efficacité, fruit d’une concentration sur la productivité et l’adaptation aux demandes du marché globalisé, contraste avec l’approche française, davantage axée sur la valorisation du terroir et la préservation des savoir-faire traditionnels. Ainsi, l’Allemagne démontre qu’une stratégie différente, privilégiant le volume et l’optimisation, peut mener à une position dominante sur le plan quantitatif, même en présence d’un concurrent dont la renommée et l’image sont largement supérieures.
Derrière la France et l’Allemagne, l’Italie, avec ses trésors fromagers mondialement reconnus, occupe la troisième marche du podium européen. La mozzarella, symbole de la cuisine italienne, le parmesan, roi des pâtes, et le gorgonzola, fromage persillé au goût intense, incarnent l’excellence fromagère italienne. Forte de traditions séculaires et d’appellations d’origine protégées (AOP) rigoureuses, l’Italie maintient une position de référence pour les gourmets du monde entier. Ses fromages, souvent produits artisanalement et selon des méthodes ancestrales, bénéficient d’une image de qualité et d’authenticité qui contribue à leur succès international. Quant aux Pays-Bas, avec une production annuelle d’environ 930 000 tonnes, ils contribuent activement à la diffusion de la culture fromagère européenne, en faisant rayonner le Gouda et l’Edam bien au-delà de leurs frontières. Ces fromages, au goût doux et à la texture onctueuse, sont appréciés pour leur polyvalence et leur accessibilité, ce qui en fait des produits de consommation courante à l’échelle mondiale.

Le paysage fromager européen est un reflet fascinant de la diversité des approches et des stratégies en matière de production. La France, forte de sa tradition et de sa réputation, se concentre sur la qualité, la diversité et la valorisation du terroir, quitte à sacrifier une partie de sa production. L’Allemagne, quant à elle, privilégie l’efficacité et le volume, lui permettant de dominer le marché européen en termes de quantité. L’Italie, avec ses appellations protégées et ses savoir-faire ancestraux, maintient une position de référence grâce à la qualité et à l’authenticité de ses produits. Enfin, les Pays-Bas, en misant sur la polyvalence et l’accessibilité, contribuent à la diffusion de la culture fromagère européenne à l’échelle mondiale. Cette compétition, loin d’être une simple course à la production, est une illustration de la richesse et de la complexité du monde fromager, où la qualité, la quantité, la tradition et l’innovation se conjuguent pour satisfaire les palais du monde entier. Le paradoxe français, qui consiste à être mondialement reconnu comme le pays du fromage tout en étant dépassé en termes de production, souligne ainsi l’importance de la perception, de l’image et de la valeur ajoutée, au-delà des simples chiffres. La France a réussi à transformer un produit agricole en un symbole culturel, une œuvre d’art culinaire, un héritage à préserver et à transmettre, et c’est là, finalement, sa plus grande victoire.
Alors cherchons quelques bons fromages marocains:
Le Jben de N’naga: Un fromage de chamelle digne d’Intérêt

Le jben de N’naga, un fromage de chamelle originaire de N’naga, au Mali, suscite un intérêt croissant dans le monde de la gastronomie et au-delà. Au-delà de son statut de simple produit laitier, ce fromage incarne une tradition ancestrale, une adaptation ingénieuse à un environnement aride et un potentiel économique significatif pour les communautés locales.
Ce qui distingue le jben de N’naga est sa composition unique, intrinsèquement liée à l’environnement dans lequel il est produit. Le lait de chamelle, naturellement riche en vitamine C et en fer, est une source de nutrition précieuse dans les régions semi-désertiques. Sa faible teneur en matières grasses et sa forte concentration en lactoferrine lui confèrent des propriétés bénéfiques pour la santé, contribuant à sa popularité grandissante auprès des consommateurs soucieux de leur bien-être.
La production du jben de N’naga est un processus artisanal, souvent réalisé par les femmes des communautés locales. La transformation du lait de chamelle en fromage est une activité qui requiert patience et savoir-faire. Les techniques traditionnelles utilisées, transmises de génération en génération, témoignent d’une adaptation parfaite aux ressources disponibles et aux contraintes climatiques. Ces méthodes, bien que rustiques, garantissent un produit authentique et imprégné d’une culture riche.
Au-delà de sa valeur nutritionnelle et de son processus de production traditionnel, le jben de N’naga représente un enjeu économique important pour les communautés qui le produisent. Son développement peut contribuer à améliorer les revenus des familles, à promouvoir l’autonomisation des femmes et à dynamiser l’économie locale. Le commerce équitable et durable de ce produit, s’il est encadré et promu adéquatement, peut avoir un impact positif significatif sur le développement socio-économique de la région.
Cependant, la production du jben de N’naga est confrontée à des défis importants. La raréfaction des ressources en eau, les changements climatiques et le manque d’infrastructures adéquates constituent des obstacles majeurs à son développement. Pour assurer la pérennité de cette tradition et maximiser son potentiel, il est essentiel de soutenir les producteurs locaux, de promouvoir des pratiques d’élevage durables et d’investir dans l’amélioration des infrastructures.
En conclusion, le jben de N’naga est bien plus qu’un simple fromage. Il est le reflet d’une culture, d’une tradition et d’un savoir-faire ancestral. Son potentiel économique et sa valeur nutritionnelle en font un produit digne d’intérêt et nécessitant un soutien approprié pour assurer son développement durable et bénéficier aux communautés qui le produisent. La valorisation de ce produit authentique est un pas important vers la reconnaissance et la préservation du patrimoine culturel et gastronomique des régions semi-désertiques.
Le Halloumi de Bouskoura: Innovation fromagère marocaine

Le halloumi, fromage chypriote traditionnellement à pâte ferme et salée, capable de supporter la cuisson à la poêle ou au grill sans fondre, connaît un engouement mondial. Dans ce contexte, l’émergence d’un « Halloumi de Bouskoura » au Maroc représente une innovation notable, conjuguant savoir-faire local et adaptation d’un produit internationalisé. Cet essai explorera les enjeux et les perspectives de cette initiative, en soulignant son potentiel pour l’économie locale et sa signification culturelle.
La région de Bouskoura, située aux portes de Casablanca, se caractérise par une tradition agricole riche et variée. L’élevage, bien que moins développé que dans d’autres régions du Maroc, bénéficie d’un climat favorable et de ressources pastorales. L’idée de produire du halloumi à Bouskoura, souvent issue d’entrepreneurs agricoles audacieux, répond à plusieurs impératifs. D’une part, elle permet de diversifier l’offre de produits laitiers marocains, traditionnellement dominée par les fromages frais et les yaourts. D’autre part, elle répond à une demande croissante de produits « exotiques » ou « alternatifs » chez les consommateurs marocains, de plus en plus curieux et ouverts aux saveurs du monde.
Cependant, la production de halloumi de Bouskoura n’est pas sans défis. Tout d’abord, la qualité du lait local doit être optimisée pour répondre aux exigences spécifiques de ce type de fromage. Cela implique des investissements dans l’amélioration des pratiques d’élevage, l’alimentation du bétail et le contrôle sanitaire. Ensuite, la transformation du lait en halloumi requiert un savoir-faire technique précis, impliquant la maîtrise du processus de coagulation, de chauffage et de salage. L’adaptation des recettes traditionnelles chypriotes aux spécificités du lait marocain est une étape cruciale pour garantir la qualité et l’authenticité du produit.
Au-delà des aspects techniques, la commercialisation du halloumi de Bouskoura soulève également des questions. La reconnaissance du produit sur le marché local et international dépendra de sa capacité à se différencier des halloumis importés, tant en termes de goût, de texture et de prix. La mise en avant des atouts spécifiques du terroir marocain, tels que l’utilisation de lait de chèvre ou de brebis élevé en plein air, pourrait constituer un argument de vente pertinent. De plus, l’établissement de partenariats avec les restaurants et les épiceries fines, tant au Maroc qu’à l’étranger, est essentiel pour assurer la distribution du produit.
En conclusion, le développement du halloumi de Bouskoura représente une initiative prometteuse pour le secteur agricole marocain. En combinant l’innovation fromagère et la valorisation des ressources locales, ce projet peut contribuer à la diversification de l’offre de produits laitiers, à la création d’emplois et à la promotion du terroir marocain. La réussite de cette entreprise dépendra de la capacité des producteurs à surmonter les défis techniques et commerciaux, et à construire une image de marque forte et distinctive pour le halloumi de Bouskoura. L’avenir de ce fromage se jouera donc entre tradition et innovation, entre ancrage local et ouverture sur le monde.
Nous compléterons notre approche des fromages du Maroc dans nos prochains articles.
Gérard Flamme