Dernièrement monsieur Abderrazzak Benchaâbane accompagnée de sa collaboratrice Amina nous a accueilli au sein du musée du parfum qu’il a créé il y a plusieurs années à Marrakech. Récit.
D’emblée l’unique nez marocain nous conte l’aventure de ce musée, son aventure à lui.
Diplômé en biologie-botanique, il crée son entreprise en 2002 qu’il nomme « Les parfums du soleil » et conçoit une première eau de toilette « Jardin Majorelle » sollicitation de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent qui désirent rendre son éclat aux jardins du même nom qu’ils viennent d’acquérir. Au fil des années, il développe un catalogue olfactif typiquement marocain.
« Ma première leçon de parfumerie, je la dois à Yves Saint Laurent qui m’a confié la création d’une eau de toilette, raconte M. Benchaâbane, et la porte de l’univers enivrant et magique des parfums s’est ouverte devant moi.» Depuis, les créations s’enchaînent : « Soir de Marrakech », « Mogador », « Les matins bleus d’Agadir », « Imilchil parfum des cimes », « Casablanca », « Sultane des cœurs », « Fès Jardin d’épices »… Au total 14 parfums appartiennent aux « Parfums du soleil », sans compter la nouvelle gamme de cosmétique qui se décline avec des produits végétaux bio comme l’huile d’argan, le ghassoul, la pierre d’alun, l’eau de rose et un autre à base de figue de barbarie.
«Nous avons lancé cette ligne de cosmétique pour répondre aux attentes d’une nouvelle clientèle constituée de femmes jeunes, exigeantes et dynamiques», ajoute le parfumeur. “Créer un parfum, c’est raconter avec poésie, une histoire où chaque fragrance ravive des souvenirs et déclenche des émotions.”
Et fin 2013, hommage total, «Soir de Marrakech» fait son entrée à l’osmothèque de Versailles « France », le seul conservatoire mondial qui archive tous les parfums et qui retrace l’histoire de la parfumerie au fil des siècles, le sanctuaire de la parfumerie. Plus de 3000 effluves du passé et du présent y sont classés et conservés dans leur formulation originale à une température constante. Cette bibliothèque olfactive est un lieu unique voué à la mémoire des odeurs disparues comme le « Parfum royal des rois Parthes » décrit par Pline l’Ancien au 1er siècle, des eaux médiévales de toilette du XIVème siècle comme « L’eau de Hongrie » d’Elisabeth de Pologne, des poudres du XVIIIème siècle comme « La poudre de Chypre », « L’eau de Cologne Impériale » créée par Guerlain pour Eugénie de Montijo en 1853 ou encore « L’eau de Cologne » créée pour Napoléon en 1815 pendant son exil à Sainte-Hélène.
«L’entrée de ce parfum que j’ai créé en 2004 dans les collections d’une telle illustre institution est une reconnaissance internationale, Cela nous fait entrer par la grande porte de l’art de vivre dans l’univers feutré du marché du luxe ». « Se parfumer est le dernier geste beauté que nous faisons avant de sortir, pourtant nous connaissons peu le travail qu’il y a derrière ».
”Comme la musique après que la note soit jouée, il ne reste rien de palpable dans un parfum, si ce n’est l’émotion créée.” Et pour concevoir cette subtilité éphémère, il ne s’appuie que sur ses souvenirs olfactifs. Aussi il ne se consacre qu’à la tradition des parfums à l’oriental, famille de parfums volatiles, légèrement hespéridés et qui montent vers la rose et le jasmin avant de pencher vers une note boisée comme l’encens ou le cèdre.
Concrètement comment cela se passe-t-il ?
Tout commence par une idée ou un souvenir dont il va d’abord transcrire l’émotion qui servira plus tard, de descriptif pour le public. Ensuite, il bâtit la pyramide olfactive, c’est-à-dire, la succession de notes qui va composer le parfum. Tout d’abord des notes de tête, qui s’expriment et disparaissent très rapidement (15-30 secondes). “Ensuite et seulement ensuite on va sentir les notes de cœur, qui restent quelques heures, puis enfin les notes de fond, qui sont la signature du parfum.”
À son bureau, un immense orgue à parfums siège avec une saisissante quantité de flacons d’huiles essentielles et d’essences florales qu’il se procure essentiellement auprès de fournisseurs marocains. Un seul parfum peut compter jusqu’à 45 fragrances différentes. “Mais le plus difficile, ce sont les soliflores. Ce sont les parfums avec une seule et unique fragrance qu’il va alors falloir beaucoup travailler pour lui donner de la subtilité.”
En moyenne, il lui faut donc entre un et deux ans pour créer un nouvel arôme fabriqué sans pétrochimie, sans parfum de synthèse. Dans son laboratoire il contrôle ensuite toutes les étapes de production allant de la macération au glaçage pour fixer le parfum. “Je fais une parfumerie de luxe (qui n’est pas plus chère que celle du commerce) mais de proximité ”
Dans le même temps, il crée le musée du parfum à Marrakech, un lieu où nous pouvons comprendre le chemin long et sinueux de l’olfactif. Le musée se trouve au sein de la médina dans un Riad qui appartenait à M. Benomar, un grand poète du Malhoun. De la distillation à mise en flacon en passant par la composition à l’orgue à parfum, les diverses salles du musée décrivent les différentes étapes de transformation des matières premières rentrant dans la composition des parfums, des cosmétique et des produits du soin du corps et du bien-être. Le musée organise des ateliers d’éveil olfactif au profit des enfants les initiant ainsi au monde merveilleux des fragrances.
Sept salles thématiques composent ce lieu unique.
Au premier étage, on commence par faire la connaissance du processus de fabrication de l’huile d’argan. On passe ensuite à une autre salle dédiée à la distillation et la mise en flacon. Puis, dans la pénombre d’une salle fermée par de lourds rideaux, le visiteur est invité à sentir les principales essences des parfums orientaux. Des panneaux explicatifs nous aident à comprendre toutes les étapes pour passer de la matière première aux parfums.
Au rez-de-chaussée, c’est la sympathique et chaleureuse Amina, fine pédagogue, qui anime l’atelier de création de parfum. Pour les petits comme les grands, l’expérience permet de créer son propre parfum en mélangeant cinq flagrances choisies parmi une trentaine. Un moment de partage dans la bonne humeur et ponctué d’informations précieuses sur l’univers des senteurs et des parfums marocains.
C’est ainsi qu’à l’issue de ce merveilleux voyage, nous avons pu créer deux eaux de parfums : « L’expérience » et « P.M.S »
Informations pratiques:
Musée du parfum: 2, Derb Chérif, Rue Diour Saboun, Marrakech Tel: 0661-095352
https://www.benchaabane.com/lemuseeduparfum/
Boutique Les parfums du soleil: 5, Rue Yves St Laurent, Marrakesh. Tel : 0671-159291
Atelier: Rue Tarik Ibn Ziad, Res. Yacout, Guéliz – Marrakech
Auteur de plusieurs ouvrages dont Le livre du parfum : sur le chemin du sacré au profane (Al Manar, 2019) Fondateur du festival Jardin’art organisée par son magazine « Jardins du Maroc, Jardins du monde ».dont la prochaine manifestation aura lieu en Avril 2023
Gérard Flamme
