Menu & Search
La Villa Carl Ficke, témoin et acteur de l’évolution de Casablanca

La Villa Carl Ficke, témoin et acteur de l’évolution de Casablanca

La Villa Carl Ficke, érigée au début du XXe siècle, se dresse comme un jalon temporel, un témoin privilégié de l’histoire de Casablanca. Cet édifice majestueux incarne une convergence d’influences, un lieu de passage, et aujourd’hui, une plateforme culturelle dynamisant le paysage artistique de la métropole marocaine.


Au centre de cette métamorphose Salima Naji: Une architecte de la mémoire marocaine

Salima Naji, figure marquante de l’architecture contemporaine au Maroc, se distingue par son approche singulière et profondément enracinée dans le patrimoine culturel et environnemental du pays. C’est une grande architecte, elle est aussi une conservatrice, une innovatrice, et une éducatrice, œuvrant à la revitalisation des techniques traditionnelles de construction et à la réhabilitation des espaces vernaculaires.

Son travail, particulièrement concentré dans les régions rurales et les zones présahariennes, témoigne d’un engagement profond envers les communautés locales. Naji s’efforce de comprendre et d’intégrer les savoir-faire ancestraux, notamment l’utilisation de matériaux naturels comme la terre, dans ses projets. Elle ne se contente pas de reproduire le passé, mais le réinterprète et l’adapte aux exigences contemporaines, créant ainsi une architecture durable, respectueuse de l’environnement et intimement liée à son contexte.

Au-delà de la construction de bâtiments, Salima Naji s’investit dans la transmission des connaissances. Elle organise des ateliers et des formations, encourageant la participation des artisans locaux et contribuant à la sauvegarde de métiers en voie de disparition. Par son travail, elle contribue à une vision novatrice de l’architecture, qui place l’humain et le patrimoine au cœur de la démarche, assurant ainsi la pérennité d’une identité culturelle riche et fragile. Son approche représente une contribution significative au débat sur le développement durable et la valorisation du patrimoine architectural au Maroc et au-delà. Son architecture singulière, son parcours sinueux à travers les âges, et sa récente transformation en un espace dédié à l’art et à la culture, en font un lieu exceptionnel, méritant une analyse approfondie.

La Villa Carl Ficke

Commanditée par le commerçant allemand Carl Ficke, la villa se distingue par son style néo-mauresque, une esthétique audacieuse qui témoigne des expérimentations architecturales foisonnantes de l’époque. Cette fusion habile d’éléments européens et marocains, visible dans ses arcades élégantes, ses zelliges colorés et son jardin luxuriant, illustre la volonté de créer un espace harmonieux où l’Occident et l’Orient dialoguent. Son architecture ne se contente pas d’esthétiser, elle raconte une histoire, celle d’une ville en pleine mutation, aspirant à la modernité tout en conservant l’empreinte de son identité culturelle. La Villa Carl Ficke, dès sa construction, s’inscrit ainsi comme une contribution majeure au développement urbanistique et esthétique de Casablanca.

Le destin de la villa, loin d’être figé, s’est révélé polymorphe au fil des décennies. De résidence bourgeoise, elle a connu une transformation radicale en devenant un centre de détention durant le protectorat français, une période sombre et marquée par l’oppression. Ce changement d’affectation témoigne de la complexité de l’histoire marocaine et du rôle que certains lieux, initialement conçus pour le confort et le raffinement, peuvent jouer dans des contextes politiques et sociaux bouleversés. Par la suite, la Villa Carl Ficke a accueilli une maison d’enfants et une annexe du Collège Khnata Bent Bekkar, des vocations plus altruistes qui témoignent d’une volonté de réinvestir le lieu dans un projet social et éducatif. Cette succession de fonctions, contrastées et chargées d’histoire, a façonné l’âme de la villa, lui conférant une profondeur et une complexité qui la rendent unique.

Aujourd’hui, la Villa Carl Ficke inaugure un nouveau chapitre de son histoire en se métamorphosant en un espace muséal et culturel. Cette transformation ambitieuse vise à partager son riche patrimoine avec le public, offrant ainsi un lieu de découverte et de partage ouvert à tous. Le parcours muséal propose un voyage immersif à travers le temps, explorant l’évolution de Casablanca depuis les premières installations humaines jusqu’à la création de « Dar El Baida ».  En mettant l’accent sur les transformations urbaines et architecturales, ainsi que sur la richesse de son patrimoine artistique, le musée offre une perspective éclairante sur l’identité complexe de la ville. 

Les thématiques abordées, telles que « Hommage à la Sculpture », « Histoire de Casablanca », « Archéologie du bâtiment », « Mémoire de l’espace Villa Carl Fike », « Casablanca, laboratoire architectural du 20ème siècle » et « Héritage artistique : l’école de Casablanca », offrent un panorama exhaustif des différents aspects qui ont façonné la ville et son patrimoine. Cette approche pluridisciplinaire permet aux visiteurs de comprendre la complexité de l’histoire casablancaise et d’apprécier la richesse de son héritage culturel.

Au-delà du parcours permanent, le musée propose des expositions temporaires qui permettent d’explorer la diversité des expressions artistiques. L’expérience du visiteur se prolonge à l’extérieur, à travers une esplanade aménagée avec soin et où sont exposées des œuvres d’art, transformant la Villa en un véritable musée à ciel ouvert et un écrin de verdure et de création en plein cœur de Casablanca. Cette imbrication de l’art et de l’espace urbain est un atout majeur, car elle permet de rendre l’art accessible à un public plus large et de dynamiser l’environnement urbain.

L’exposition inaugurale, consacrée aux sculptures de l’artiste marocaine Ikram Kabbaj, est un choix pertinent et significatif. Née à Casablanca en 1960, Ikram Kabbaj est une figure importante de la scène artistique marocaine, reconnue pour son travail sur la pierre et le marbre. Son engagement pour l’intégration de la sculpture dans les espaces publics du Maroc en fait une ambassadrice de l’art et de la culture, contribuant à sensibiliser le public à l’importance de l’expression artistique. Ses sculptures, à la fois imposantes et délicates, invitent à la contemplation et à la réflexion, créant un dialogue harmonieux avec l’espace environnant de la Villa Carl Ficke.  Le choix d’Ikram Kabbaj pour cette exposition inaugurale souligne l’engagement du musée à promouvoir les artistes marocains et à valoriser leur contribution à la scène artistique nationale et internationale.

La Villa Carl Ficke: Un carrefour mémoriel pour une ville en quête de son identité

La ville de Casablanca, métropole bouillonnante et carrefour économique du Maroc, se profile avec une ambition croissante comme une destination culturelle de premier plan. Cette aspiration se concrétise, entre autres, par la transformation de la Villa Carl Ficke en un « Musée de la Mémoire de Casablanca, » un projet ambitieux qui se propose d’établir un pont entre le passé riche et complexe de la ville, son présent dynamique et les promesses de son avenir. Loin de se limiter à une simple exposition d’artefacts historiques, ce musée ambitionne de devenir un véritable carrefour de rencontre, un espace d’appréciation, de découverte et de compréhension de l’héritage unique de « Dar El Baida. »

L’initiative de créer un tel lieu de mémoire témoigne d’une volonté politique forte, transcendant les clivages institutionnels. En effet, le projet est le fruit d’un partenariat exemplaire entre divers acteurs clés : la Fondation Nationale des Musées, garante de la conservation et de la valorisation du patrimoine national ; le Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, responsable de la politique culturelle nationale ; la Commune de Casablanca, incarnation de l’administration locale et garante du bien-être de ses citoyens ; et l’arrondissement de Mers Sultan, ancrage géographique et communautaire du musée. Ce consortium bénéficie du soutien de la Wilaya de la région Casablanca-Settat et du Conseil de la région Casablanca-Settat, assurant ainsi une synergie des ressources et des compétences pour la réussite du projet. Cette collaboration interinstitutionnelle souligne l’importance stratégique accordée à la culture comme vecteur de développement et de rayonnement pour Casablanca.

La pertinence d’un tel musée de la mémoire à Casablanca s’explique par la nature même de la ville. « Dar El Baida » est une agglomération qui a connu une expansion fulgurante au XXe siècle, attirant des populations diverses venues de toutes les régions du Maroc et du monde. Cette mosaïque humaine a contribué à forger une identité complexe, marquée par des influences multiples et parfois contradictoires. La Villa Carl Ficke, par son architecture et son histoire, incarne déjà une part de ce passé. Construite durant la période du protectorat, elle représente un témoignage tangible de l’influence européenne sur l’urbanisme et la culture casablancaise. En transformant ce lieu chargé d’histoire en un musée, les initiateurs du projet reconnaissent la nécessité de contextualiser le passé, de le déchiffrer et de le mettre en perspective pour mieux comprendre le présent.

Le Musée de la Mémoire de Casablanca ne se veut pas un simple conservatoire du passé, mais un espace vivant et interactif, capable de susciter la curiosité et de stimuler la réflexion. On peut imaginer des expositions thématiques abordant les grandes étapes de l’histoire de la ville : son rôle de port de commerce stratégique, son développement industriel, les mouvements sociaux et politiques qui l’ont animée, son architecture unique mêlant influences traditionnelles et modernistes. Mais au-delà de la présentation d’objets et de documents historiques, le musée pourrait également proposer des ateliers pédagogiques, des conférences, des projections de films, des témoignages oraux et des expositions temporaires pour enrichir l’expérience des visiteurs et favoriser l’échange et le dialogue intergénérationnel.

En s’inscrivant dans une démarche pédagogique et participative, le Musée de la Mémoire de Casablanca peut jouer un rôle crucial dans la construction d’une identité casablancaise forte et inclusive. En permettant aux différentes communautés qui composent la ville de se reconnaître dans son histoire, le musée peut contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance et à favoriser le vivre-ensemble. Il peut également constituer un outil précieux pour l’éducation des jeunes générations, en leur permettant de mieux comprendre les enjeux contemporains et de se projeter dans l’avenir avec confiance et responsabilité.

Enfin, le Musée de la Mémoire de Casablanca représente un atout indéniable pour le développement touristique de la ville. En offrant aux visiteurs une expérience culturelle enrichissante et authentique, le musée peut contribuer à diversifier l’offre touristique de Casablanca et à attirer un public plus intéressé par l’histoire et le patrimoine. Il peut également s’inscrire dans un réseau de musées et de sites historiques de la région, contribuant ainsi à la valorisation du patrimoine culturel de l’ensemble du territoire.

Aussi, la création du Musée de la Mémoire de Casablanca à la Villa Carl Ficke est une initiative louable et prometteuse. En se positionnant comme un carrefour de rencontre entre le passé, le présent et l’avenir de « Dar El Baida, » ce musée a le potentiel de devenir un lieu incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire et à l’identité de la ville. Sa réussite dépendra de la capacité des différents acteurs impliqués à travailler ensemble de manière cohérente et efficace, à proposer une programmation riche et variée, et à s’inscrire dans une démarche pédagogique et participative. En relevant ce défi, le Musée de la Mémoire de Casablanca peut contribuer de manière significative à la construction d’une ville plus inclusive, plus dynamique et plus fière de son héritage.

Aussi, la Villa Carl Ficke, bâtiment historique est un lieu de mémoire, un témoignage de l’évolution de Casablanca, et un vecteur de dynamisation culturelle. Son architecture néo-mauresque, son parcours à travers les âges, et sa transformation en un espace muséal et culturel en font un lieu exceptionnel, capable d’inspirer et d’enrichir la vie de ceux qui le visitent. En ouvrant ses portes au public, la Villa Carl Ficke se positionne comme un acteur majeur du développement culturel de Casablanca, contribuant à faire de la ville un lieu de rencontre et d’échange, où l’art et l’histoire se rejoignent pour créer un avenir prometteur. Son rôle ne se limite pas à la conservation du patrimoine, mais s’étend à la promotion de la création contemporaine et à l’éducation artistique, faisant d’elle un lieu incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire et à la culture du Maroc.

Nous avons écrit cet article avant d’avoir visité ce musée. Nous reviendrons à ce sujet dès que nous l’aurons exploré.

Gérard Flamme

RETOUR EN HAUT