La Compagnie Marocaine des Œuvres et Objets d’Art (CMOOA), fondée en avril 2002, a marqué une étape significative dans le paysage culturel marocain en étant la première maison de vente aux enchères du pays.
Dès sa première enchère, organisée le 28 décembre 2002, la CMOOA a su s’imposer en tant qu’institution dynamique, organisant des événements thématiques aussi bien à Casablanca qu’à Marrakech, tout en soutenant des initiatives sociales et culturelles.

Mais parlons de la dernière vente qui s’est organisée ce samedi 25 janvier 2025.
Au Maroc, la complexité du marché de l’art se dessine comme un labyrinthe où l’argent s’érige en véritable nerf de la guerre. En effet, la création artistique a besoin de fonds pour exister et prospérer. Cet enjeu financier, souvent souterrain, soulève des questions tant pratiques qu’éthiques sur la nature du marché de l’art dans le royaume.
La 81ème manifestation de la maison de ventes aux enchères à Casablanca !
Il y a quelques jours, la scène artistique de Casablanca a vibré au rythme d’une vente aux enchères, un moment fort de la saison culturelle 2025. Nous avons vécu la 81ème manifestation de la Compagnie Marocaine des Œuvres et Objets d’art, une maison dédiée à la mise en lumière de trésors artistiques issus de l’art moderne et contemporain. Et ce n’est pas rien. À cette occasion, non moins de 77 œuvres remarquables provenant de prestigieuses collections particulières marocaines, et plus particulièrement des pièces d’artistes femmes pionnières qui ont marqué l’histoire de l’art ont été mises en ventes.
Faut-il le rappeler, l’art est un miroir de nos sociétés, une empreinte de notre histoire « humanité » et une façon de nous projeter vers l’avenir. En mettant en avant des artistes comme Latifa Toujani, Meriem Mezian, Cécile Boccara, Chaïbia Tallal, Malika Agueznay et Najia Mehadji, la CMOAA a non seulement précisé leur talent indéniable, mais aussi leurs contributions inestimables à la scène artistique « marocaine » et nous l’espérons internationale. Ces artistes, à travers leurs œuvres, expriment des émotions, des réflexions et des luttes qui résonnent avec une intensité inégalée. Elles – ils sont des pionnières – ers qui ont ouvert la voie à de nombreuses générations d’artistes, et il est essentiel de leur donner la place qu’elles – ils méritent sur le devant de la scène.
« Parmi les œuvres phares de cette vente, nous aurons le grand honneur de présenter une toile emblématique de Latifa Toujani, réalisée en 1970. Cette pièce a non seulement fait sensation lors de son exposition à la galerie Bab-Rouah en 1973, mais elle a également impressionné le public lors de la Semaine Culturelle Marocaine à Dakar. La richesse d’interprétation et l’audace de son style captivent quiconque s’y attarde. La toile de Toujani n’est pas simplement une œuvre d’art ; c’est une passerelle vers une époque où le Maroc commençait à s’affirmer sur la scène artistique internationale, portée par des voix féminines puissantes et emblématiques. »

Mais ce n’est pas tout ! Un autre joyau a été la tapisserie de haute lisse en laine de Cécile Boccara, réalisée en 1975. Cette pièce atypique surprendra dans le temps sans aucun doute les amateurs d’art par son avant-gardisme et la modernité de sa recherche. Inspirée par l’œuvre de Sheila Hicks, figure phare de l’art textile international. Boccara transcende les matières et les formes pour offrir une vision unique de l’art textile. « Cette tapisserie est un véritable témoignage de l’importance de l’art dans la réflexion sur les matériaux et les techniques, témoignant du talent et de la créativité de son époque. »
Mais nous parlons de quoi ?
L’art peut transformer notre regard sur le monde, nous inspirer et nous émouvoir. L’art au Maroc, une scène qui a du mal à émerger, compte près de 25.000 artistes qui s’affrontent pour s’imposer sur un marché saturé localement. Parmi eux, très peu parviennent à émerger véritablement, encore moins sur la scène intenationale. La majorité se compose de « travailleurs de l’art », s’adaptant aux caprices des tendances passagères et aux modes éphémères, espérant voir leur cote grimper grâce à une certaine flamboyance passagère. Soyons aussi précis.. Un état qui censure ne permet aucunement l’émergence d’un art international sauf à être déjà ailleurs.
Mais qu’en est-il des véritables talents ? Ils sont souvent noyés dans un océan de créations qui, bien que prolifiques, manquent parfois de profondeur. Que de voix qui se heurtent, mais peu qui chantent réellement la beauté de l’art !

Celui qui souhaite faire un diagnostic du marché de l’art au Maroc (parce que trop souvent ancré sur un art dit marocain) ne peut que s’apercevoir de son inefficacité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les sommes injectées dans l’art ne dépassent pas les 600 millions d’euros. Une paille si l’on compare ce marché à ceux qui prospèrent ailleurs sur la planète. Les maisons de ventes aux enchères, les galeries d’art, les antiquaires, les brocantes, tout cela semble encore trop loin de la structure professionnelle que l’on espère pour encourager la création artistique à l’échelle nationale. A titre d’exemple Artcurial, maison internationale réputée sur le plan international ne fait que deux ventes aux enchères par an au Maroc… Et les big one telles que Christie’s ou Sothebiz ne sont pas présentes. Sur ce terrain, les marchands hors-la-loi et les marchés parallèles se révèlent être des acteurs incontournables, affichant une réalité parfois éclairée par le flou et l’informel.
À l’écart des galeries traditionnelles, un marché parallèle, estimé à près de 200 millions de dirhams, s’épanouit discrètement. Celui-ci s’intéresse souvent à des œuvres aux origines floues, et dont la valeur est déterminée par un ensemble de facteurs mystérieux parfois plus entachés par l’extravagance que par la réelle qualité artistique. Qui sont les acheteurs, ces mystérieux collectionneurs qui se lancent dans ce monde incertain ? Ils sont rares et raffinés, mais leur interaction avec l’art reste souvent opaque, ambiguë, et marquée par un soupçon, celui de l’auto-satisfaction de leur statut.
En parallèle, on observe un véritable élan vers la recherche de visibilité pour des artistes de talent. Cette quête est souvent portée par quelques mécènes généreux, des collectionneurs passionnés, et d’ardents galeristes qui, dans leur lutte pour trouver le bon équilibre entre l’art et le marché, essayent tant bien que mal d’éclairer les vraies valeurs. Dans cette danse délicate, les véritables créateurs aspirent à se faire connaître à l’international, mais se heurtent à une réalité marchandisée et parfois déformée, noyée sous l’avalanche de faux Chef-d’œuvre, de fausses ventes et d’impressions trompeuses.
Pourtant, malgré toutes ces tumultes, l’art explicite « marocain » possède une richesse inestimable, une diversité vibrante, une créativité foisonnante qui ne demande qu’à être appréciée à sa juste valeur. Par moment, des talents émergent, brillants, éclatants, impressionnants. Ces artistes audacieux qui parviennent à transcender les standards éphémères de la mode démontrent qu’il y a de l’espoir au sein de ce marasme artistique. Ils rappellent au monde que l’art n’est pas seulement une transaction financière ; c’est aussi et surtout une histoire humaine, une expérience profonde, une émotion.

Dans cette quête de renaissances et de vérités artistiques, la structuration du marché de l’art au Maroc est sûrement un impératif. Il est crucial d’ériger un espace où le respect de la créativité et l’intégrité des artistes priment sur les simples transactions mercantiles. Une professionnalisation de la scène artistique s’impose, l’élaboration de cahiers des charges, de normes claires pour évaluer la qualité des œuvres, ainsi que des dispositifs de protection pour les artistes et leurs créations, sont des éléments primordiaux dans cette équation délicate. Et surtout la fin d’une censure archaïque de la gouvernance de ce pays.
À la croisée de l’art et de la législation : la rareté des œuvres d’artistes modernes au Maroc
Au Maroc, la dynamique artistique est particulièrement vivante, portée par des artistes modernes et pionniers qui ont su capturer l’essence de notre culture. Cependant, un phénomène troublant est en train de transformer le paysage artistique marocain : la très grande rareté des œuvres d’artistes contemporains. Cette réalité, tangible et préoccupante, entraîne des conséquences profondes sur le marché de l’art, la circulation des œuvres, et leur diffusion à l’international.
Il est indéniable que de nombreux artistes marquants de notre histoire se trouvent aujourd’hui dans une situation délicate, où leurs successions sont bloquées par des procédures judiciaires interminables. Les ayants droit, souvent en désaccord, se battent sans relâche pour s’approprier un héritage qui, par malheur, est également le reflet de la culture et de l’identité marocaine. Ces conflits sont d’autant plus tragiques lorsque l’on considère que beaucoup de ces artistes ont consacré leur vie à créer des œuvres qui devraient appartenir à la société tout entière, et non à des batailles familiales sans fin.

Prenons l’exemple poignant de Hossein Tallal et de sa mère, Chaïbia Tallal. Leur héritage artistique, riche et emblématique, est en proie à une énigme et à une tragédie qui suscitent l’interrogation au sein de notre scène artistique. Comment des œuvres qui devraient toucher le cœur du public peuvent-elles disparaître ou rester invisibles en raison de conflits successifs ? Ce constat met en exergue une lacune alarmante dans la protection des artistes à la fin de leur vie, et un besoin urgent de mettre en place des mécanismes de préservation et de tutelle. Les autorités devraient jouer un rôle actif dans l’accompagnement des artistes et le règlement des disputes successorales, pour éviter que ces chefs-d’œuvre ne tombent dans l’oubli ou le chaos.
La circulation des œuvres est un élément essentiel du marché de l’art. Lorsque ces dernières sont bloquées, principalement à cause de litiges juridiques, la tension sur les prix boursiers s’intensifie. En effet, la rareté générée par l’indisponibilité des œuvres ouvre la voie à une spéculation « mécanique » qui profite à certains, mais se fait au détriment des familles d’artistes et, surtout, de l’œuvre artistique elle-même. Il est préoccupant de voir couver une culture de la spéculation, non pas dans le sens de l’art comme investissement dans sa valeur intrinsèque, mais plutôt comme un enjeu d’intérêt personnel dans un environnement morose. Cette dynamique contribue également à l’émergence des faussaires, qui exploitent les lacunes en matière de certification d’authenticité, rendant encore plus difficile le chemin de la reconnaissance et de l’appréciation des œuvres authentiques.
Avec le décès de plusieurs grands artistes entre 2013 et 2022, cette problématique, qui restait relativement secondaire lors des débuts balbutiants du marché de l’art marocain, s’est intensifiée. Les défis ne sont plus seulement liés à la reconnaissance des artistes, mais également à la survie de leur héritage et à la pérennité de ce patrimoine culturel. C’est une enveloppe de chagrin pour toute nation dont l’art est le reflet vivant de son identité, et qui se doit d’apprendre des erreurs du passé pour mieux préparer un avenir radieux.
La rareté des œuvres d’artistes modernes au Maroc est une question de marché et pas seulement un cri pour la sauvegarde du patrimoine artistique. C’est un appel à une réflexion profonde sur la manière dont la création des artistes est protégé par des lois qui disent clairement .

Revenons maintenant sur le CMOOA
En 2008, la transformation de CMOOA en Art Holding Morocco représente une évolution majeure. Ce changement de nom s’accompagne d’une diversification des activités, englobant désormais le conseil en acquisition, le management culturel, et l’accompagnement de projets artistiques. Ce réajustement s’illustre par la création du Musée de Bank Al Maghrib à Rabat en 2011, où l’organisation a joué un rôle crucial en tant que chef de file du groupement muséographique et architectural.
Art Holding Morocco a également contribué activement à la scène artistique contemporaine en participant à la création du magazine Diptyk et en organisant la Marrakech Art Fair entre 2009 et 2012, un événement qui s’est affirmé comme la foire d’art contemporain la plus significative du continent africain. Ces actions témoignent de l’engagement de l’entreprise envers la promotion de l’art marocain et la reconnaissance des talents nationaux.
En 2013, un recentrage stratégique a conduit Art Holding Morocco à se consacrer principalement aux ventes aux enchères et à la mise en avant de jeunes artistes marocains, tout en jouant un rôle décisif dans la gestion de la succession de l’artiste Mohammed Kacimi. Cette démarche souligne l’importance de la conservation du patrimoine artistique et des figures emblématiques de la scène artistique du pays.
Depuis une dizaine d’année, les espaces dédiés à l’art contemporain, témoigne de l’engagement continu de la structure à soutenir et à promouvoir la jeune scène artistique du Maroc. Aujourd’hui, Art Holding Morocco, à travers la CMOOA, s’affirme comme un partenaire de choix pour les institutions artistiques nationales et internationales désireuses de mieux appréhender l’art marocain.
L’avenir apparaît prometteur pour cette institution, qui ambitionne d’élargir le champ de ses activités et de ses ventes en intégrant de nouvelles catégories artistiques. L’équipe, composée de profils variés mais unis par la passion et le professionnalisme, donne vie à cette vision en se dévouant à la valorisation de l’art marocain.
Les efforts déployés par Art Holding Morocco et la CMOOA, soutenus par une riche documentation et un véritable engagement envers le patrimoine artistique, posent les bases d’un avenir rayonnant pour l’art « marocain ».
La vente aux enchères elle-même a été un événement commercial mais aussi un carrefour d’idées et d’échanges, où les passionnés d’art, collectionneurs, amateurs et néophytes ont pu se retrouver autour de leur amour commun pour l’art et la culture.
Mais n’y a-t-il pas lieu de regarder beaucoup plus avant la scène artistique internationale pour rendre plus présent et visible les artistes « marocains » ?


5 Rue Essanaani, Triangle d’Or, Casablanca – www.cmooa.com | info@cmooa.com | +212522261048
Du Lundi au Vendredi – De 9h30 à 12h00 et de 14h30 à 18h00
Gérard Flamme