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La guerre stratégique dans l’industrie des semi-conducteurs

La guerre stratégique dans l’industrie des semi-conducteurs

L’industrie des semi-conducteurs est l’un des secteurs les plus dynamiques et compétitifs de l’économie mondiale. Au cœur de cette industrie se trouve Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), un leader mondial dans la fabrication de puces.


TSMC vise des puces monolithiques 1 nm à 200 milliards de transistors d’ici à 2030. Aujourd’hui on peut dire que votre téléphone contient plus de 100 milliards de transistors dans une puce par plus grosse qu’un ongle.

Revenons donc à l’histoire de cette entreprise. Fondée en 1987 à Taïwan grâce aux capitaux d’Etat et de Philips, TSMC a rapidement compris l’importance de diversifier sa clientèle. Dès 1994, l’entreprise comptait déjà une centaine de clients, malgré un partenariat initial avec Philips. Cette diversification précoce a permis à TSMC de se forger une réputation de fabricant fiable, capable de répondre aux besoins variés de ses clients. En évitant de se reposer sur un ou deux clients majeurs, TSMC a pu atténuer les risques financiers liés à une éventuelle perte de contrat avec un client important. En effet, en 1995, des entreprises comme Cirrus et Philips ne représentaient chacune qu’environ 10 % des ventes de TSMC, illustrant ainsi l’engagement de l’entreprise envers une base de clients diversifiée.

La stratégie de TSMC repose sur un équilibre délicat entre la satisfaction des besoins de ses clients et la préservation de son indépendance. En se concentrant sur la fabrication plutôt que sur le développement de ses propres produits, TSMC a su se positionner comme un acteur incontournable du marché, attirant ainsi des entreprises de renommée mondiale. Cette approche lui a permis de s’établir comme le premier fabricant de semi-conducteurs au monde, avec une part de marché significative.

L’évolution de la clientèle de TSMC

Au fil des années, TSMC a su s’adapter aux évolutions du marché et aux besoins de ses clients. En 2001 et 2002, Nvidia est devenu le premier client de TSMC, représentant respectivement 17 % et 20 % des ventes. Cette relation a été bénéfique pour les deux parties, car elle a permis à Nvidia de tirer parti des capacités de fabrication de pointe de TSMC tout en garantissant à l’entreprise taïwanaise une source de revenus stable.

Cependant, le paysage des clients de TSMC a considérablement évolué, et depuis 2014, Apple est devenu le partenaire le plus important de l’entreprise, représentant plus de 20 % des ventes ces dernières années. Cette relation a renforcé la position de TSMC sur le marché, car Apple continue d’innover et de lancer de nouveaux produits nécessitant des puces de haute performance. Malgré cette dépendance à l’égard d’Apple, TSMC a réussi à maintenir une base de clients diversifiée, avec environ 50 % à 80 % de son chiffre d’affaires provenant des dix plus gros clients.

En 2021, ces dix plus gros clients incluaient des entreprises de premier plan telles qu’Apple, MediaTek, AMD, Qualcomm, Nvidia, Sony, Marvell, STMicroelectronics et Analog Devices. À l’exception d’Apple, tous ces clients représentent moins de 10 % des ventes, ce qui témoigne de l’engagement de TSMC à diversifier ses sources de revenus et à éviter une trop grande dépendance à l’égard d’un seul client.

Une politique de partenariat et de diversification

Ce qui distingue TSMC de ses concurrents est sa politique commerciale unique, qui lui interdit de développer ses propres puces, le positionnant ainsi comme un partenaire privilégié des sociétés de semi-conducteurs plutôt qu’un concurrent. Cette stratégie a permis à TSMC de nouer des relations solides avec une multitude de clients, tout en minimisant les risques associés à une dépendance excessive à l’égard d’un nombre restreint de partenaires.

Une stratégie gagnante pour TSMC

La politique commerciale de TSMC, qui privilégie le partenariat et la diversification, s’est révélée être une stratégie gagnante dans le secteur des semi-conducteurs. En s’interdisant de créer ses propres puces, TSMC a su se concentrer sur son cœur de métier : la fabrication de semi-conducteurs de haute qualité pour une multitude de clients. Cette approche a permis à l’entreprise de se positionner comme un acteur clé de l’industrie, tout en minimisant les risques associés à une dépendance excessive à l’égard d’un nombre restreint de partenaires.

À mesure que l’industrie des semi-conducteurs continue d’évoluer, TSMC est bien placé pour maintenir sa position de leader, grâce à sa capacité à s’adapter aux besoins changeants de ses clients et à innover dans le domaine de la fabrication. En fin de compte, la stratégie de TSMC illustre l’importance de la collaboration et de la diversification dans un secteur en constante mutation, où l’innovation et la réactivité sont essentielles pour réussir.

La stratégie d’Intel face à TSMC : un retour vers l’intégration verticale pour une autonomie renforcée

Dans un paysage technologique en constante évolution, la dépendance d’une entreprise à l’égard d’un partenaire externe pour la fabrication de ses produits peut devenir un obstacle majeur sur le chemin de la compétitivité. Intel, le géant de la microélectronique basé à Santa Clara, a récemment fait une déclaration audacieuse à ce sujet. Lors d’une présentation récente de ses résultats financiers, Pat Gelsinger, le directeur général de l’entreprise, a annoncé que la société ne souhaitait plus être dépendante de TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) pour la fabrication de ses processeurs vedettes. Ce changement stratégique vise à non seulement doper les marges de l’entreprise, mais aussi à restaurer son statut de leader sur le marché des semi-conducteurs.

Historiquement, Intel a toujours adopté un modèle d’intégration verticale. Cela signifie que l’entreprise concevait et fabriquait ses propres puces, en s’appuyant sur sa propre architecture, ce qui lui conférait un contrôle total sur le processus de production. Cependant, cette approche a rencontré des défis significatifs dans un environnement technologique en rapide mutation, en particulier concernant les progrès dans les gravures les plus fines. En 2021, à peine installé, Pat Gelsinger a reconnu la nécessité d’un changement majeur dans la stratégie d’Intel, acceptant pour la première fois de sous-traiter une partie de la production à TSMC, l’un des principaux fondeurs de l’industrie.

Cette décision s’expliquait principalement par les retards technologiques qu’Intel avait accumulés, le plaçant en position désavantageuse face à ses concurrents. Les processeurs de la gamme Lunar Lake et Arrow Lake, produits par TSMC, illustraient ce choix désespéré de sortir temporairement d’une indépendance auto-imposée. Cependant, face à cette situation, Intel semble déterminée à inverser la tendance avec ses nouvelles générations de CPUs, à commencer par Panther Lake, dont le lancement commercial est prévu pour l’année prochaine, suivi de Nova Lake dans un délai d’un à deux ans.

La stratégie de rapatriement de la production évoquée par Gelsinger vise à redonner à Intel un contrôle plus large sur ses processus de fabrication. Pour Panther Lake, bien que certains composants soient encore fabriqués par TSMC, plus de 70 % de la surface en silicium sera produite en interne. Ce chiffre suggère un retour significatif vers l’autonomie, une tendance que Gelsinger prévoit de renforcer avec Nova Lake, où la proportion d’éléments fabriqués en interne devrait être encore plus élevée. Selon les déclarations du patron d’Intel, le recours à la sous-traitance variera selon les modèles, permettant une plus grande flexibilité tout en augmentant la capacité d’Intel à répondre aux exigences du marché.

Pour réaliser ce rapatriement de production, Intel mise sur un nouveau procédé de gravure, baptisé 18A, conçu pour rivaliser avec TSMC sur les composants avancés. Ce nouveau procédé représente une étape cruciale pour Intel, car la capacité à produire des semi-conducteurs au même niveau de complexité et de performance que ceux fabriqués par TSMC est essentielle pour détrôner l’entreprise taïwanaise. De plus, l’abandon du procédé 20A, qui devait à l’origine produire les CPU Lunar Lake, illustre la volonté d’Intel de ne pas diluer ses ressources et ses efforts sur des technologies qu’elle estime maintenant moins compétitives.

Cependant, même avec cette transition vers une production interne renforcée, Intel doit également naviguer dans les eaux troubles de sa nouvelle activité de fonderie. Ce projet de relance, au cœur de la vision de Gelsinger, peine à décoller et est confronté à d’importantes pertes financières, ce qui soulève des questions sur la viabilité à long terme de cette stratégie. En septembre dernier, la direction a annoncé que cette division deviendrait indépendante, ce qui pourrait lui offrir l’opportunité de lever des fonds auprès d’investisseurs extérieurs pour assurer son développement.

Cette décision de Gelsinger, combinée avec le rapatriement de la production, pourrait potentiellement permettre à Intel de retrouver une position de force sur le marché des semi-conducteurs. Toutefois, la mise en œuvre de cette stratégie devra être minutieusement orchestrée. L’industrie des semi-conducteurs est actuellement très compétitive et dominée par des acteurs puissants comme TSMC et Samsung. Pour réussir, Intel devra non seulement exceller dans ses nouvelles innovations techniques, mais également prouver sa capacité à redresser son activité de fonderie.

Aussi, le voyage d’Intel pour se libérer de sa dépendance à TSMC est à la fois audacieux et risqué. Le retour vers un modèle d’intégration verticale pourrait constituer un point tournant pour la société, mais nécessite des investissements conséquents et une exécution stratégique sans faille. Si Gelsinger et son équipe parviennent à surmonter ces défis, Intel pourrait bien redynamiser son image et retrouver sa place de leader sur le marché des processeurs. Dans le contexte actuel, où l’innovation et la capacité à s’adapter rapidement aux changements technologiques sont plus cruciales que jamais, les yeux du secteur continuent de se tourner vers Intel pour observer l’évolution de cette saga industrielle.

Gérard Flamme

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